double bass
feat. @moon yeona

La nuit avance, le sommeil ne vient pas ou plutôt, Lee ne le cherche pas, dans la pénombre de sa chambre, son visage seulement éclairé par la lumière de sa switch, ses doigts harcelant frénétiquement les boutons jusqu’à ce qu’elle s’arrête brusquement, soudainement tiraillée par la faim, l’instant fatidique où elle y a pensé signant la mise en pause de son jeu, impossible de continuer sans avoir consommé de délicieuses ramyeon premier prix. Elle enfile donc des chaussettes, un hoodie, attrape un masque peut-être propre et quitte sa chambre sur la pointe des pieds, pour ne réveiller personne, une fois à la porte elle enfile ses chaussures comme des chaussons, tant pis si elle les abîme et sort le plus discrètement possible. Mission accomplie. La supérette n’est pas bien loin, dans une rue mal éclairée par un simple réverbère, mais Lee ne s’inquiète pas, elle connaît les lieux, elle connaît ces gens, rien ne pourrait la surprendre.

Elle salue la vieille dame qui tient la caisse d’un clignement d’yeux, qui en retour la juge du regard mais ne dit pas un mot. Une fois le bol en carton obtenu pour une modique somme, elle se pose près de la porte en attendant que l’eau chaude opère sa magie et sa soirée ne pourrait être plus ordinaire. Jusqu’à ce que des jeunes débarquent en grandes pompes, et par là elle entend : en faisant beaucoup de bruit, dérangeant le silence de la nuit. Lee remonte sa capuche sur sa tête pour les espionner discrètement, alors qu’ils vont chercher des boissons fraîches, l’une d’entre eux semble avoir du mal à rester debout, elle rigole fort et s’appuie contre les étagères qu’elle menace de renverser, mamie caissière s’inquiète de voir son magasin sans dessus dessous et leur crie quelques inoffensives menaces, ce qui n’a pas l’air de plaire aux intrus. Lee, d’habitude si discrète, se refuse pourtant aujourd’hui de rester sans rien faire quand ces jeunes malappris entourent dangereusement grand-mère.

— Non mais j’en reviens pas, quelle bande de lâche s’attaque à une petite mamie comme elle ? Elle clame sans quitter sa place, seule sa paire d’iris visible, elles brillent d’une lueur qu’elle ne leur connaît pas. Attendez, faut que je filme ça, un gloussement amusé, désabusé, s’échappe d’entre ses lèvres, alors qu’elle les nargue de son téléphone, qui servira de preuve s’il y a du grabuge.

double bass
feat. @Jeon Lee

L'obscurité des nuités ne sont qu'un lointain mirage pour eux, enfants lumières qui ne connaissent l'ombre que dans les histoires qu'on raconte. C'est l'esprit léger, troublé par les effluves d'alcool qu'ils parcourent les rues d'Hanseong jusqu'à atteindre le quartier de Dongjin. Yeona, comme à son habitude, n'a pas peur d'exposer au monde ses états d'âme, étalant son ivresse en entraînant ses paires au beau milieu des folies passagères. Elle parle fort, s'égosille, se rit d'autrui, n'hésitant pas, même dans son état actuel, à remettre en place ceux qui se pensent plus malins qu'elle. Sa mère serait au bord de la crise cardiaque, si elle la voyait si dévergondée et sans doute manque-t-elle cruellement de prudence sans son frère à ses côtés, mais les pensées ne sont pas aux « si », les pensées se perdent dans les lumières de la ville, aux côtés de ceux qui savent réellement s'amuser.

La noblesse aux oubliettes, Yeona est attirée par une enseigne devant laquelle elle ne se serait probablement jamais arrêtée en temps normaux, une supérette au coin d'une rue, un dépanneur solitaire pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir un chef privé pour leur cuisiner le dîner. « Venez on y vaaaa ! » Elle entraîne les corps mous de ses amis qui, comme beaucoup de choses autour d'elle, ne sont d'artifices et décorations, des gens dont elle n'est même pas sûre de se rappeler le nom.

Les portes dépassées, c'est un monde nouveau qui se reflète dans le noir de ses pupilles stimulées, elle observe les rayons comme une gamine qu'on vient de lâcher dans un stand de bonbons, et tandis que tout le monde se traîne pour farfouiller les étales, elle reste un peu en arrière, portant son attention sur une silhouette encapuchonnée, puis sur une dame, probablement la propriétaire de cette enseigne. La curiosité la pique, mais ce n'est pas dans ses habitudes de s'intéresser à des gens « normaux », alors elle s'en détourne, riant vivement aux singeries d'un de ses amis qui tente de l'appeler pour la ramener près d'eux.

La Terre tourne bien trop vite ce soir, Yeona doit se retenir plusieurs fois à tout ce qui se trouve sur son passage, manquant de tout casser à plusieurs reprises, sans que cela n'effleure véritablement sa conscience. Les rires s'enchaînent de plus belle et c'est en arrivant près de la caisse que les choses prennent une tout autre direction. La voix outragée de la vieille femme perce leurs éclats de voix, attirant l'attention de presque tous les gamins sur elle. Les lèvres se pincent déjà, certains commencent à faire les gros yeux, Yeona, elle se tait, observe la scène un fin sourire sur les lèvres.

C'est alors qu'un nouveau personnage se fait remarquer, la silhouette de plus tôt qui décide de parler. La Moon se redresse, piquée par le ton insolent de celle qui brandit son téléphone pour les menacer. « Yah. » Lancé telle une flèche qu'elle encoche. La brune se détache des pots de colle qui pendent à ses bras, se frayant un chemin jusqu'à l'effrontée. « Tu ne sais pas à qui tu tentes de t'attaquer, je crois. » Plongeant ses mirettes dans celles de la jeune femme, Yeona doit redresser le menton à cause de sa petite taille, mais ça ne l'empêche pas de prendre une attitude intimidante. « Tu nous prends pour des gens non-civilisés ? Tu penses qu'on va se mettre à taper sur ta grand-mère bien-aimée juste comme ça ? » Un rire sarcastique passe la barrière de ses lèvres, elle croise ses bras et toise l'inconnue de haut en bas. « Ton téléphone ? C'est comme ça que tu te confrontes au monde toi ? Bah, faut croire que tu dois pas fréquenter beaucoup de gens vu comment t'es fringuée. Tu te fais tellement chier chez toi que tu descends ici en pensant avoir de quoi pimenter tes journées de chômeuse ? » D'un geste, elle écarte le portable qui se tient devant elles, et vient appuyer sur son front sans retenue. « Reprends-toi et va t'occuper de tes affaires plutôt que de jouer aux justicières du peuple. »