madness
feat. @khan yebin

((août 2021))
Yeji traverse le palais en furie, si vite qu'elle oblige les gardes derrière elle à accélérer le pas, presque à courir. De manière générale, elle n'est pas du genre à leur porter grande attention, mais aujourd'hui plus que d'habitude, elle n'en a rien à faire des autres. Elle n'en a rien à faire de tout. Elle suffoque et ça la rend folle, tout la rend folle. Elle a l'impression que le sort s'acharne sur elle. D'abord, l'attentat. L'explosion. Les gens qui crient, qui hurlent, qui courent, qui meurent, qui sont blessés. Ensuite, l'enfermement. Les gardes qui s'accumulent autour d'elle, les murs qui se referment, l'impression d'être pris au piège, plus que jamais. Puis, enfin, les fiançailles. La cerise sur le gâteau.

Elle a envie de tout casser, de hurler sa frustration. Aujourd'hui, elle déteste tout le monde, sans exception. Le monde entier est coupable, la vie est sa prison. Alors elle marche, marche, marche, dans ce palais dix fois trop grand, jusqu'à atteindre l'aile où se situe sa chambre ; et avant même de pouvoir gagner sa chambre, la musique résonne contre les murs, les fait presque vibrer tant le son est fort. Elle n'a même pas besoin de se demander d'où la musique vient ou qui en est la cause ; les gardes non plus, d'ailleurs. Il n'y a qu'une personne qui peut déranger sans crainte le calme du palais. D'habitude, Yeji l'admire. Les jours passés, elle riait seule dans sa chambre chaque fois qu'elle entendait la musique trop forte, les gardes courir dans le palais, à la recherche d'un moyen de l'arrêter. Dans l'obscurité de cette période, les quelques notifications qu'elle reçoit l'avertissant du live de sa sœur la font rire, et elle aimerait avoir cette audace.

Mais aujourd'hui, cette audace l'énerve, parce que tout l'énerve. Et sa sœur est une cible facile, c'est la première à travers son chemin, la seule qui lui offre une raison de crier pour soulager sa frustration. Alors au lieu d'ouvrir la porte de sa chambre, c'est celle de Yebin qu'elle ouvre à la volée, et elle rentre à l'intérieur comme si c'était chez elle, tandis que les gardes eux, bien conscients que ça n'est pas le cas, restent au seuil de la porte. "Eteins-moi ta putain de musique !" hurle-t-elle, plus fort que la musique, le regard accusateur envers sa soeur. "Le palais c'est pas une discothèque, va faire ta dévergondée ailleurs !" Douce hypocrisie, elle qui ne supporterait pas qu'on lui dise de tels propos, qui ne les pense pas une seule seconde, mais c'est si simple de répéter ce que dit tout le monde au sujet de Yebin pour crier, pour hurler, pour faire autre chose que pleurer dans sa chambre.

madness
feat. @"khan yeti"

Ceux qui géraient son compte instagram avaient une épine dans le pied ; les lives. C'était si compliqué de les stopper qu'il fallait un peu de temps, assez de temps pour créer un nouveau scandale. En voyant le nombre de gens la regardant se déhancher sur une chanson stupide, elle eut un énorme sourire et continua de hurler les paroles de la chanson encore plus fort. Malheureusement, il n'y avait pas d'alcool dans sa chambre, les servantes avaient tout enlevé, toute une contrebande qu'elle avait accumulé au fil des semaines parti en un instant. Pour étouffer ses pensées, elle hurla encore plus fort si c'était possible. Elle voulait rugir, faire en sorte qu'on l'entende toujours de plus en plus fort, qu'on ne puisse pas l'ignorer. Les commentaires défilaient sur l'écran de son téléphone, certains étaient moqueurs d'autres appréciaient qu'elle soit "comme les autres". Mais elle n'était pas comme les autres et c'était peut-être ça la plus grande tragédie. Elle arrêta un moment de danser pour répondre aux questions sur le live quand des commentaires s'affichèrent en majuscule sur son écran ; MEURTRIÈRE, MEURTRIÈRE, MEURTRIÈRE.

Les mots étaient si grands qu'elle avait l'impression qu'ils mangeaient l'écran. Elle sentit son sourire fané sur son visage, les yeux toujours rivés sur ces commentaires, mais un battement de cils plus tard, elle reprit le contrôle et remonta la façade et la muraille qui la protégeait. Elle eut un petit sourire sardonique et après avoir accusé ceux qui la regardait d'être de mauvaise compagnie termina le live, contente d'avoir eu son scandale. Pourtant, elle avait envie de bouger, encore et encore, d'oublier. La musique toujours à fond, elle fouilla les tiroirs, retourna ses vêtements et trouva miraculeusement une bouteille de vodka, elle enleva le bouchon de la bouteille et en but une rasade. Elle n'avait pas envie de penser à l'anniversaire de son père, aux cris de terreur, le visage de ces gens... Une nouvelle gorgée et elle se remit à bouger tout en fermant les yeux, la bouteille à la main comme une bouée. Elle entendit des bruits de pas s'approcher de sa chambre et supposa que sa sœur était rentré d'un énième rendez-vous, sa si gentille petite sœur. Elle l'aimait comme elle la jalousait, tout était si facile pour elle ; elle était l'adorable membre de la famille royale, la jeune fille qu'on aimerait avoir dans son foyer, l'antithèse de sa propre existence.

Les portes de sa chambre s'ouvrirent alors en grand la faisant sursauté et lâcher sa bouteille qui coûtait beaucoup trop cher pour être étalé sur le sol. Elle croisa le regard éberlué des gardes qui restèrent sur le seuil comme des bons toutous contrairement à sa sœur qui entra dans la pièce comme si elle était la maîtresse des lieux ce qui l'énerva profondément. Sa chambre était son royaume, pas le sien. Elle croisa alors les bras sous sa poitrine et attendit que la jeune fille finisse sa diatribe pour parler à son tour puis éclata de rire et dit d'un ton moqueur "Mais voilà que Sainte-nitouche est énervée." Elle s'avança pour être plus proche d'elle, pencha la tête comme si elle regardait un enfant tenter de parler et ajouta, toujours aussi moqueuse "Quoi ? Tu n'as pas réussi à sauver un chaton alors tu t'en prends à moi ?" Elle finit sa question en souriant comme un chat devant sa souris et s'assit face à elle, sur le matelas de son lit tout en observant ses ongles. Peut-être que si elle l'ignorait ou entendait ses états d'âmes, Yeji finirait par partir. L'insulte de dévergondée, elle l'avait entendu ou lu un million de fois et elle ne lui faisait plus rien même si l'entendre de la bouche de Yeji lui avait donné l'impression que son cœur était trop serré dans sa poitrine, elle préférait ne rien montrer, se moquer plutôt que d'être moqué.